« Il semble bien que les rapports d’oppression basés sur l’exploitation du travail et du corps se traduisent par une véritable anesthésie de la conscience inhérente aux limitations concrètes, matérielles et intellectuelles, imposées à l’opprimé-e, ce qui exclut que l’on puisse parler de consentement. Et au cas où la malade se réveillerait au cours de l’anesthésie (résistance), la violence qui lui est alors appliquée ne consiste pas seulement dans les coups, la mort ou les insultes: la violence principale de la situation d’oppression est qu’il n’existe pas de possibilité de fuite pour les femmes dans la majorité des sociétés, sinon pour retomber de Charybde en Scylla, du pouvoir d’un groupe d’hommes à un autre.
La violence principale de la domination consiste à limiter les posssibilités, le rayon d’action et de pensée de l’opprimé-e: limiter la liberté du corps, limiter l’accès aux moyens autonomes et sophistiqués de production et de défense (aux outils et aux armes…), aux connaissances, aux valeurs,aux représentations –y compris aux représentations de la domination…
S’il faut parler de consentement à la domination, c’est celui…des dominants. Les dominants possèdent , en plus des bénéfices concrets, et en provenant directement, le privilège de forger l’imaginaire du réel–où se déploie la légitimation de leur pouvoir. Le problème de la légitimité, donc de la légitimation du pouvoir, est typiquement un problème de dominant. ..Ce n’est pas , à mon sens, la « reconnaissance » par les opprimées de la légitimité du pouvoir, des bienfaits et services des dominants qui maintient principalement « en plus de la violence » la situation de domination, mais bien plutôt la conscience contrainte et médiatisée et l’ignorance où sont maintenues les opprimées…
Parler du consentement à la domination est très exactement sauter par-dessus l’obstacle du problème que l’on prétend poser: celui de la prise de conscience. Godelier parle de « consentement à la domination pour décrire un état qui en fait précède la prise de conscience puis il dit quil faudra se demander quelles sont les conditions qui rendraient possible une prise de conscience… Pour pouvoir dire d’un sujet dominé qu’il consent à la domination, encore faudrait-il que ce sujet se soit déjà révélé à lui-même comme sujet dans ce rapport de domination, donc qu’il ait identifié ce rapport, et ait procédé à une reconversion de lui-même. Il faut tout de même se rappeler que c’est justement chez les opprimé-es qu’existe la négation la plus forte de l’oppression–et négation n’est pas consentement.
C’est au moment où l’idée de la domination ne sera plus refoulée mais où la personne se sera admise partie du rapport de domination qu’elle serait en mesure de e dire éventuellement: « Mais comment ai-je pu consentir à cela? »… Ce n’est donc qu’à partir de la prise de concience (individuelle et collective) que le mot « consentement »–à, supposer qu’il soit adéquat–pourrait être posé… C’est justement en tant que sujet non conscient de l’oppression qu’elle a subi cela, en tant que sujet agi, alors qu’elle se pensait actrice de sa vie… Le consentement suppose déjà la conscience pleine, libre du sujet et au moins la connaissance des termes du contrat, sinon de toutes ses conséquences.
Le mot consentement appliqué aux dominé-es annule quasiment toute responsabilité de la part de l’oppresseur. Puisque l’opprimé consent, il n’y a rien de véritablement immoral dans le comportement du dominant… Autant dire que l’opprimé s’opprime… Ainsi avec le terme consentement, la responsabilité de l’oppresseur est annulée, d’autre part la conscience de l’opprimé-e est promue au rang de conscience libre… Parler de consentement à la domination rejette de fait, une fois de plus, la culpabilité sur l’opprimé-e. »
(Nicole-Claude Mathieu, « L’anatomie politique »)