« Nous soutiendrons autant le combat d’une femme qui souhaite enlever le foulard, que celle qui fait le choix de le porter et de le garder ! Ces deux combats sont loin d’être incompatibles, la règle est simple : respecter et soutenir les femmes dans leurs choix et ne jamais céder à ce qui est contraire à leurs libertés. » C’est ce que proclame une jeune association « féministe islamique ».
D’abord, je note que, sur le site de cette associatio, il y a de multiples déclarations de femmes musulmanes défendant et valorisant le port du voile. Je n’en ai pas vu une seule de femme défendant son droit de ne pas se voiler.
Et non, justement, le féminisme n’a jamais consisté à soutenir inconditionnellement les « choix » des femmes.
– Parce que ce n’est pas être libre que de « choisir » d’être esclave.
– Parce que c’est ignorer le contexte de contrainte familiale, sociale et économique dans lequel sont faits ces « choix »–donc dépolitiser totalement le féminisme. Et valider l’approche individualiste du capitalisme néo-libéral qui nie que l’appartenance à une classe sociale, de sexe ou de « race » affecte voire détermine largement la façon dont la société traite ses membres.
– Parce que certains « choix » des femmes leur portent gravement préjudice, à elles mêmes et autres femmes, comme le voile, la burka, l’excision, la prostitution, etc.
– Parce que peu importe qu’une chose soit choisie ou non, ce qui compte, c’est la nature de ce qui est choisi–c’est-à-dire si ce qui est choisi est bon ou dommageable pour vous et pour les autres femmes. « Choisir » l’excision, ou de se prostituer, ou de porter une burka, c’est choisir » de se faire du mal–et ce genre de choix ne peut pas être défendu comme féministe. Même si les féministes qui dénoncent ces « choix » doivent veiller à défendre les femmes qui les font contre toute forme de harcèlement ou de stigmatisation.
Contrairement à ce que prétendent ceux qui cherchent à nous embrouiller, le critère qui permet de distinguer ce qui est féministe de ce qui ne l’est pas est très simple: est-ce que c’est bon pour les femmes? Les religions patriarcales (et ce qu’elles prescrivent) ont toujours été contre nous, puisqu’elles servent à inscrire dans le marbre leur règle cardinale–la soumission des femmes aux hommes–en la sacralisant: si les femmes doivent obéir aux hommes, ce n’est pas seulement parce que c’est la volonté des hommes, c’est parce que Dieu le veut. Dieu qui est un mâle bien sûr.
Voilà les absurdités à quoi on aboutit quand le « féminisme » n’est plus basé sur une réflexion critique sur le patriarcat et les instruments idéologiques qu’il utilise pour nous contrôler (en particulier la religion). Et qu’il n’est plus qu’une rhétorique vide qui flatte les femmes pour mieux les asservir. Ce féminisme « feel good » ne fait croire aux femmes qu’elles sont libres (de leurs choix) que pour leur cacher qu’elles ne le sont pas. Et que, prenant leur asservissement pour la liberté, elles n’essaient pas de s’en libérer.
Un féminisme qui dit aux femmes, « vous êtes libres, vos choix ne sont pas affectés (voire dictés) par les discriminations sexistes », c’est comme si un mouvement anti-raciste disait: « vous êtes libres de vos choix parce que les discriminations racistes n’existent pas ». Aucun mouvement anti-raciste ne dit ça–parce qu’affirmer que les choix des personnes racisées ne sont pas affectés par les discriminations racistes, ce n’est pas de l’anti-racisme, c’est du racisme (ou être dans le déni du racisme, ce qui est la même chose).
De même, dire aux femmes que leurs choix sont libres dans une société patriarcale, c’est reprendre un discours antiféministe/individualiste/dépolitisé typique. Le but du féminisme, c’est de faire prendre conscience aux femmes de l’oppression qu’elles subissent, non de la leur dissimuler en agitant l’argument du libre choix.
Et enfin il n’y a qu’aux femmes qu’on ose servir ce féminisme antiféministe, il n’y a qu’elles qu’on prend à ce point pour des jobardes qu’on peut leur faire avaler comme libératrice une idéologie qui dessert manifestement leur intérêt, et qui au lieu de les libérer, vise à les maintenir sous contrôle patriarcal grâce à la religion. Et surtout-à les éloigner de la contamination par les dangereuses « féministes blanches » qui les aménerait à revendiquer les mêmes droits que celles-ci–ce qui est terrifiant pour leur propre patriarcat .
On peut être chrétienne ou musulmane et être féministe–bien que ça constitue une contradiction majeure. Mais il ne peut y avoir de féminisme chrétien ou musulman.