Cela me fait tiquer quand les médias célèbrent le journaliste Jacques Julliard, qui vient de décéder à l’âge de 90 ans, comme « une grande figure de la gauche ». De gauche, il ne l’était plus depuis longtemps, étant passé de l’Obs à Marianne, clairement positionné à l’extrême-droite.
Passer de la gauche à la droite quand on vieillit, évolution d’une banalité consternante. Mais Jacques Julliard a-t-il jamais vraiment été de gauche?
Je me souviens que, alors que l’on commençait à discuter de la parité homme-femme dans les médias–ça devait être à la fin des 90s, quelque temps avant le passage de la loi sur la parité de 2000–Julliard avait pris position contre cette loi dans l’Obs. Je ne me rappelle plus exactement du détail de ses arguments mais il me semble qu’il invoquait la notion de compétence, que les femmes devaient faire leurs preuves avant d’accéder aux fonctions politiques, et que la parité était un passe-droit incompatible avec la démocratie, pour justifier son refus de la parité. Je lui ai écrit une lettre très pédagogique pour lui expliquer l’inanité et le sexisme de ses arguments, mais l’Obs ne l’a pas publiée.
Ce qui nous ramène aux nombreuses fois où la gauche et les syndicats ont pris des positions antiféministes. Au 19ème siècle, refus de laisser les femmes accéder aux professions masculines, refus de les admettre dans les usines, refus de les laisser entrer dans les syndicats. Jusque vers la moitié du 20ème siècle, refus du droit à l’avortement et réticences envers la pilule par les communistes thoréziens, dans les années 60, dénonciation des féministes qui osaient envoyer des prolétaires et des hommes racisés en prison pour viol en les faisant condamner par la justice bourgeoise.
Plus récemment soutien de la gauche à la pornographie, au soi-disant « travail du sexe », au voile. Tout au long du 20ème siècle jusqu’à maintenant, dénonciation du féminisme comme un mouvement bourgeois oeuvrant objectivement pour la division de la classe ouvrière et pour priver les prolétaires et militants du nécessaire soutien de leurs épouses.
Et actuellement le ralliement massif des médias de gauche, de Médiapart à Libération en passant par l’Obs, à la « grande illusion », au délire collectif TR. Parfaite illustration du théorème de Christine Delphy: dans tout groupe en situation de mixité, ce sont toujours la vision et les intérêts masculins qui finissent par l’emporter: si de telles absurdités biologiques bénéficient d’un tel consensus, c’est parce qu’elles sont proférées par des voix masculines.
Les féministes sont de gauche mais la gauche n’est pas (ou très rarement) féministe
GAUCHE ET FEMINISME: je t’aime, moi non plus?
11 lundi Sep 2023
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