Qu’il s’agisse de DSK,de Polanski ou de Darmanin, à chaque fois que des allégations d’agression sexuelle visent un perpétrateur de sexe masculin (expression largement tautologique, vu que 98% des agresseurs sexuels sont des hommes), de nombreux individus (généralement aussi de sexe masculin ) crient au lynchage médiatique et se précipitent pour rappeler l’argument de la « présomption d’innocence »: qu’un individu doit être considéré comme innocent tant qu’un tribunal ne l’a pas déclaré coupable.
D’abord, l’histoire judiciaire est remplie d’individus dont la culpabilité était certaine et qui ont néanmoins été épargnés par la justice, pour diverses raisons– en particulier, parce que leur pouvoir les rendait intouchables, et qu’ils pouvaient se payer les meilleurs (et les plus chers) avocats, parfaitement rodés à utiliser toutes les failles de la machine judiciaire à l’avantage de leurs clients. Le cas d’O.J.Simpson, assassin de sa femme Nicole, contre qui il existait des preuves accablantes, est exemplaire à ce sujet.
Mais, comme le rappelle maître Eolas (1), la présomption d’innocence a une signification limitée, purement judiciaire, et ceux qui la remettent sur le tapis constamment à propos des agresseurs sexuels lui donnent un sens erroné: la présomption d’innocence n’interdit absolument pas d’évoquer la culpabilité d’un accusé dans la sphère publique–sinon, les medias seraient dans l’incapacité légale de rendre compte des procès. Cet argument sert donc essentiellement à interdire toute mise en cause publique des agresseurs.
Je note en passant que la présomption d’innocence est surtout évoquée à propos des criminels masculins, je ne me souviens pas d’avoir beaucoup entendu parler de « présomption d’innocence » à propos de Jacqueline Sauvage.
Ensuite, comme l’immense majorité des crimes sont commis par des hommes (je rappelle que 96% des détenus dans les prisons françaises et 98% des auteurs d’agressions sexuelles sont des hommes ), et que de très nombreuses victimes de ces criminels sont des femmes, ce concept est en soi sexiste.
Parce que les juristes qui ont construit ce concept ont été guidés par le souci de protéger avant tout les criminels (hommes), protection jugée prioritaire par rapport à la protection des victimes (femmes): en posant le principe que le doute doit bénéficier à l’accusé, leur priorité explicite a été d’éviter à tout prix que des hommes accusés faussement soient condamnés–quitte à ce que des coupables innocentés à tort soient relâchés dans la nature et agressent de nouveau de nombreuses femmes.
La loi est conçue autour de ce concept: mieux vaut des dizaines de femmes et d’enfants violés qu’un seul homme innocent emprisonné injustement. Ceci est en soi un jugement de valeur, et ça envoie un message très clair sur qui est important et qui ne l’est pas dans une société patriarcale.
Et enfin, poser, même à titre purement judiciaire, l’innocence des hommes accusés d’agression sexuelle, n’est-ce pas inférer implicitement que les femmes qui les accusent sont des menteuses? C’est en tout cas cette interprétation abusive que semblent avancer ceux qui brandissent rituellement cette notion de « présomption d’innocence » dès qu’un homme connu est accusé de violences sexuelles.
(1) http://www.maitre-eolas.fr/post/2009/01/21/1290-pour-en-finir-avec-la-presomption-d-innocence