Parce que l’épidémie actuelle met brutalement en évidence l’impéritie des leaders patriarcaux et fait apparaître que les pays qui, en moyenne, s’en sortent le mieux sont ceux où le leadership est très féminisé, voire féministe–et que la domination patriarcapitaliste mène l’humanité à la catastrophe, j’ai traduit ces extraits d’un livre (non traduit en Français) de Melvin Konner, où il développe les arguments en faveur d’un leadership féminin. On peut ne pas être d’accord avec toutes ses analyses, que l’on peut voir comme trop axées sur un réductionnisme biologique essentialiste, mais face (par exemple) à l’universalité de la violence masculine, elles interrogent et sont en tout cas une lecture intellectuellement stimulante.
« Le mot « supériorité » associé à « biologie » est un drapeau rouge pour les féministes, parce que le principal argument des systèmes patriarcaux est de justifier le statut de citoyen de deuxième classe des femmes (et des personnes racisées) par la biologie: « les femmes sont physiquement moins fortes que les hommes, elles sont entravées par les grossesses, la maternité et le cycle féminin, ce qui les rend incapables de jouer un rôle dans la vie publique, et même au travail dans la plupart des emplois. Les femmes sont aussi censées être trop émotives et irrationnelles pour exercer n’importe quel type de leadership. »
Melvin Konner souligne qu’en fait, plusieurs de ces soi-disant infériorités sont des caractéristiques positives: être capable de donner la vie peut être vu comme une forme de pouvoir. « D’autres sont juste des inversions patriarcales: les hommes ont projeté leurs propres défauts sur les femmes, par exemple « l’irrationalité féminine ». Le monde tel qu’il est, plein de guerres, de terrorisme, de destruction de l’environnement, est le résultat direct du leadership masculin « rationnel ». Sur la base de ses conséquences chaotiques et destructrices, il est clair que le leadership masculin est au contraire complètement irrationnel.
Mais le problème principal est que, de ces différences biologiques observées entre les mâles humains et les femmes, le patriarcat a tiré les conséquences que ces différences prouvent que la supériorité des hommes est totale. En bref, que les hommes ne sont pas justes meilleurs pour soulever des choses lourdes, mais supérieurs en valeur absolue.
Bien sûr, c’est une absurdité logique, parce qu’il n’y a aucun rapport de causalité entre ces deux termes: le fait que les hommes ont plus de force physique et peuvent de ce fait soumettre les femmes et le fait qu’ils sont meilleurs qu’elles généralement, ont plus de valeur, sont plus importants , devraient être placés au-dessus d’elles dans la hiérarchie sociale et avoir autorité sur elles (pourquoi devrait-t-il y avoir une hiérarchie entre les êtres de toute façon?)
Si cette expression « supériorité biologique » vous fait tiquer, c’est parce que vous ne pouvez pas vous empêcher d’associer différence biologique et hiérarchie sociale, comme le patriarcat nous a enseigné à le faire. Mais si les connotations négatives de cette expression sont trop nombreuses pour qu’on puisse les ignorer, employons plutôt l’expression d’ « avantage biologique ». »
Selon l’auteur, le fait d’être née femelle apporte plusieurs avantages biologiques: « durée de vie plus longue, protection contre certaines maladies, un meilleur système immunitaire, meilleure adaptation au changement et meilleure résilience aux traumas, pulsions agressives et sexuelles moins obsédantes, excitabilité sexuelle plus contrôlée, donc meilleur contrôle et stabilité émotionnelles, donc meilleur jugement et meilleure capacité à prendre des décisions rationnelles, etc. »
Il précise aussi « qu’à certaines périodes de l’évolution humaine, l’agression masculine a pu être un avantage évolutif, mais que dans les sociétés modernes où la force physique est de moins en moins importante, ce n’est plus le cas, et cette agressivité masculine est maintenant devenue contre-productive et menace même la survie de l’espèce. Dans cette approche, les avantages biologiques des femmes font qu’elles sont mieux adaptées au monde de demain et qu’il est temps que le leadership féminin prenne les choses en main: le patriarcat a fait de la planète un enfer, mais la façon dont les femmes se comportent nous montre qu’il n’est pas inévitable qu’il en soit ainsi et que le chemin pour sortir de cet enfer et pour notre survie est entre les mains des femmes. »
Melvin Konner rappelle que « la domination masculine extrême est une anomalie dans notre histoire–une anomalie durable mais néanmoins temporaire. En termes de relation entre les sexes, nous sommes en train de revenir à l’égalité, pas de l’inventer. Et si nous regardons autour de nous dans le monde animal, nous trouvons de nombreux et excellents modèles d’égalité entre les sexes chez nos plus proches parents, et au delà.
Mais qu’est-ce qui sera différent dans ce nouveau monde? Contrairement à toutes les idées reçues, les femmes sont plus logiques et moins émotionnelles que les hommes. Certes, la plupart des femmes pleurent plus facilement mais la vie sur cette planète n’est pas menacée par les larmes des femmes, et ce n’est pas ce liquide salé qui cause la pauvreté, pompe les finances publiques, torture des individus sans défense, impose des rapports sexuels forcés ou réduit des villes en ruines. Ces désastres sont littéralement « manmade » (produits par les hommes). Ils résultent des émotions des individus masculins qui s’imposent constamment à leur esprit. Trop d’entre eux sont constamment dominés par des motivations et des émotions qui affectent beaucoup moins les femmes.
En plus de leur meilleur jugement, de leur fiabilité, du fait qu’elle travaillent mieux avec des groupes, le fait que les femmes ne sont pas aussi obsédées par leurs pulsions sexuelles et leur plus faible niveau de violence leur confère une supériorité biologique. Elles vivent plus longtemps, ont des taux de mortalité inférieurs à tous les âges, sont plus résistantes à certaines catégories de maladies et moins susceptibles de souffrir de pathologies du cerveau qui conduisent à des comportements dysfonctionnels voire destructeurs. Et bien sûr, elles sont capables de produire de nouvelles vies avec leur corps, un fardeau stressant et coûteux auquel les hommes n’apportent que la plus infime contribution biologique, contribution dont, dans un futur pas très éloigné, on pourra sans doute se passer. Il y a des espèces qui ont évolué dans ce sens (une reproduction sans mâles) et qui s’en portent très bien. Et avec notre maîtrise croissante de la biotechnologie, nous pourrions y arriver plus rapidement que ces espèces et le réaliser encore mieux qu’elles.
On m’a dit que j’étais trop dur avec les hommes, que je devrais reconnaître que tous les hommes ne sont pas coupables de violence, de viol, de promiscuité sexuelle ou ne déclenchent pas des guerres. Mais la minorité qui en est coupable est dangereusement importante, bien plus nombreuse qu’elle ne l’est chez les femmes, et cette minorité a laissé une empreinte très forte sur l’histoire humaine. En fait, on peut dire que c’est cette minorité qui a fait l’histoire, au moins pour les dix ou douze mille dernières années. Tous les hommes au pouvoir ne sont pas coupables de ces crimes mais trop sont coupables d’un ou plusieurs d’entre eux.
Mais une autre objection est que les hommes ont accompli de grandes choses! Davantage que les femmes. Je le reconnais, bien qu’étant donné que les hommes ont bloqué l’accès des femmes à ces grandes réalisations dans tous les domaines pendant des milliers d’années, la comparaison entre les deux sexes de ce point de vue n’est pas équitable.
Ce n’est pas juste une différence de degré en ce qui concerne la violence et l’égoïsme qui a crée cette différence historique, c’est aussi que, quand des hommes se réunissent dans des groupes qui excluent les femmes, le niveau élevé de ces émotions négatives dans ces groupes produit une dynamique toxique qui a empoisonné le cours de l’histoire.
En fait, toutes les guerres sont mâles. Il y a toutes les raisons de penser qu’avec une hiérarchie future où les femmes seraient très présentes et décisionnaires dans un contexte où elles n’auraient plus à imiter les hommes pour devenir leaders, et interagiraient avec d’autres nations ainsi transformées, on ferait moins souvent la guerre. Mais ce n’est pas tout: les scandales sexuels, la corruption et les violences sont masculines de façon écrasante. Et ce n’est pas juste parce que les hommes sont au pouvoir et peuvent se conduire ainsi qu’ils le font, c’est avant tout parce qu’ils sont des hommes.
Certainement, les femmes ont leurs émotions Mais ces émotions ne menacent pas le monde et ses habitants. Les émotions ressenties par les femmes ne limitent pas, ne stigmatisent pas et ne détruisent pas. Elles augmentent, protègent et construisent.
Il y a un défaut congénital qui est très répandu et qui résulte d’une mutation sur une paire de chromosomes essentiels: l’un de ces chromosomes est rétréci au point de n’être plus reconnaissable. Le résultat pour les porteurs de ce chromosome est une durée de vie plus courte, une mortalité plus forte à tous les âges, une incapacité à se reproduire par eux-mêmes, la perte des cheveux prématurée et des pathologies cérébrales ayant pour conséquences différents problèmes comme le déficit d’attention (short attention span disorder), l’hyperactivité, des comportements impulsifs, l’hyper-sexualité, et une énorme quantité d’agression dirigée vers soi-même et vers les autres. Le principal élément causatif de ces problèmes est l’empoisonnement par les androgènes. J’appelle ces diverses manifestations syndrome de déficit du chromosome X, et 49% de la population en est affectée. Ca s’appelle aussi être de sexe mâle.
Ce n’est pas un jugement arbitraire, c’est basé sur l’évolution, la physiologie et la susceptibilité aux maladies. Et aussi sur le fait qu’il y a très longtemps, tous nos ancêtres pouvaient se reproduire à partir de leur propre corps, autrement dit nous étions tous femelles.
Il y a de nombreuses espèces animales où il n’y a que des femelles. Il n’y en a aucune où il n’y ait que des mâles–pour des raisons évidentes. »
Melvin Konner considère que si, à une période éloignée de l’histoire de notre espèce, l’agressivité mâle a pu constituer un avantage évolutif, ce n’est plus le cas; en fait, cette agressivité est devenue dangereuse pour l’espèce humaine et pour les mâles eux-mêmes. Et bien entendu, il ne préconise nullement l’élimination ou la disparition de son propre sexe, simplement que la classe de sexe des hommes cesse de dominer et d’exploiter les femmes et renonce à monopoliser le pouvoir, monopole qui a pour conséquences (entre autres) la multiplication des guerres et la destruction de l’environnement.
(« Women After All, Sex, Evolution and the End of Male Superiority » de Melvin Konner, professeur d’anthropologie, de neurosciences et de biologie comportementale à l’université d’Emory).